mercredi 31 octobre 2007

Élection des membres de la Chambre des conseillers: L'impossibilité produit un effet exonératoire de la formalité requise.

 

AVIS N°A 2-2005 du Conseil constitutionnel concernant l'élection des membres de la Chambre des conseillers

Vu la lettre du Président de la République en date du 12 juin 2005, parvenue au Conseil constitutionnel en date du 13 juin 2005 et dont la teneur est comme suit:

 «Au vu des candidatures à l'élection des membres de la chambre des conseillers, il s'est avéré qu'aucune organisation professionnelle n'a présenté dans les délais impartis à cet effet, une déclaration comportant une liste de candidats au titre du secteur des salariés. En application du troisième paragraphe de l'article 72 de la Constitution disposant que le Président de la République peut soumettre au Conseil constitutionnel toutes questions touchant à l'organisation et au fonctionnement des institutions constitutionnelles, et dans le cadre de la formation de la chambre des conseillers, l'avis du Conseil est sollicité sur cette question et notamment en ce qui concerne le déroulement des opérations électorales, ses incidences juridiques sur le scrutin fixé au dimanche 3 juillet 2005 et ses résultats» ,

Vu la constitution et notamment ses articles 18, 19, 21 et 72,

Vu les dispositions transitoires contenues dans la loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1 er juin 2002 modifiant certains articles de la constitution,

Vu le code électoral et notamment ses articles 42, 43, 118, 121, 124 et 125,

Sur la saisine du Conseil,

Considérant que le troisième paragraphe de l'article 72 de la constitution dispose que le Président de la République peut soumettre au Conseil constitutionnel, toutes questions touchant à l'organisation et au fonctionnement des institutions constitutionnelles.

Considérant que le Président de la République a, au vu de la non présentation de candidats au titre du secteur des salariés, sollicité l'avis du Conseil constitutionnel dans sa lettre précitée sur le déroulement des opérations électorales et ses incidences juridiques sur le scrutin.

Considérant que la question de l'élection des membres de la chambre des conseillers relève de l'organisation de cette institution constitutionnelle,

Sur le fond,

Considérant que la Chambre des conseillers, qui a été créée en vertu de la loi constitutionnelle n° 2002 -51 du 1er juin 2002, exerce avec la Chambre des députés le pouvoir législatif selon des règles déterminées; l'article 19 de la constitution en a fixé la composition et a conféré à la loi le soin de déterminer la fixation du nombre de ses membres et des conditions de leur élection.

Considérant que le 1er et le 2ème paragraphe de l'article 5 de la loi constitutionnelle n° 2002 -51 du 1 er juin 2002 disposent que la «Chambre des députés exerce seule ses prérogatives législatives jusqu'à la constitution de la Chambre des conseillers et l'adoption de son règlement intérieur. La Chambre des conseillers se réunit dans les quinze jours suivant sa constitution »,

Considérant qu'il appert de ce qui précède que le Pouvoir constituant, compte tenu des étapes nécessaires pour la constitution initiale de la dite chambre, a prévu des dispositions transitoires devant rester en vigueur jusqu'à l'adoption des textes y afférents et l'aboutissement des procédures préliminaires à sa formation,

Considérant qu'il est impératif que l'ensemble des opérations prévues à cet effet devant avoir lieu dans des délais raisonnables,

Considérant qu'à cet effet, ont été promulguées la loi organique en date du 4 août 2003 modifiant et complétant le code électoral en vue de déterminer les conditions et les modalités de l'élection des membres de la Chambre des conseillers; la loi organique en date du 13 mai 2004 modifiant et complétant la loi organique du budget au vu des prérogatives de la Chambre des conseillers en la matière et la loi organique en date du 14 juin 2004 portant organisation du travail de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers et fixant les relations entre les deux chambres,

Considérant qu'au vu de l'article 19 de la Constitution et de l'article 118 du code électoral, le collège électoral pour l'élection des membres de la Chambre des conseillers est constitué des membres de la chambre des députés et des conseillers municipaux.

Considérant que le dernier renouvellement de la Chambre des députés et celui des conseils municipaux ont eu lieu respectivement en octobre 2004 et en mai 2005,

Considérant que l'article 42 du code électoral a confié au Président de la République le soin de convoquer les électeurs par décret qui doit être publié au moins trois mois avant le jour du scrutin, décret pris effectivement le 24 mars 2005 sous le numéro 2005-835 et publié au Journal Officiel du 25 mars 2005 et fixant conformément au dit article et à l'article 43 du même code, le jour du scrutin au dimanche 3 juillet 2005,

Considérant qu'ainsi cette date engage toutes les parties, administration, candidats et électeurs.

Considérant la question posée au Conseil constitutionnel, il importe de rappeler tout d'abord que l'article 19 de la Constitution et les articles 121 et suivants du code électoral ont déterminé la composition de la Chambre des conseillers et fixé les conditions et les modalités de leur élection, qu'il appert de ces différentes dispositions que le tiers des membres de la Chambre des conseillers est élu parmi les employeurs, les agriculteurs et les salariés, sur proposition des organisations professionnelles concernées.

Considérant que l'article 125 du code électoral tout en reconnaissant explicitement à l'électeur la possibilité de choisir librement une liste pour chacun des trois secteurs professionnels concernés et de choisir parmi chaque liste retenue un nombre de noms égal au nombre de sièges réservés au secteur en question, a, en revanche, tenu à ce que l'électeur exerce effectivement son choix pour chaque secteur sans possibilité d'exclusion de l'un d'entre eux; que sur cette base le dit article dispose que l'électeur met exclusivement les trois bulletins choisis dans l'enveloppe réservée à cet effet et que «... n'est pas prise en considération toute enveloppe ne contenant pas trois bulletins de vote pour tous les secteurs. ».

Considérant que cet article exprime la volonté du législateur d'assurer la représentation des différents secteurs professionnels au sein de la Chambre des conseillers, de manière à ce que le caractère national de ces élections soit préservé et que celles-ci ne donnent pas lieu à quelque confrontation entre les divers secteurs professionnels, alors même qu'elles aient pour objectif une large représentation des différentes composantes de la société,

Considérant que les garanties prévues par la Constitution et mises en œuvre par le code électoral à l'effet d'une meilleure représentation au sein de la Chambre des Conseillers et d'une représentation des secteurs professionnels selon des proportions déterminées, ne présupposent guère une participation obligatoire à ces élections; que la liberté pour toute organisation professionnelle de ne pas présenter de candidature reste entière et que la situation est la même quant aux effets juridiques pour une organisation n'ayant pas présenté une déclaration de candidature dans les délais impartis et pour celle dont la liste est refusée pour non conformité avec la Constitution et le code électoral,

Considérant que la non présentation, par une organisation professionnelle relevant d'un secteur déterminé, d'une liste de candidats aux élections, ne constitue pas en soi une source de difficulté juridique, mais qu'il en est autrement lorsque le défaut de participation , volontaire ou non, a pour conséquence l'absence de ces élections de tout un secteur professionnel, ce qui advient inéluctablement quand le dit secteur est représenté, en fait, par une seule organisation; tel est le cas du secteur des salariés,

Considérant que, dans cette hypothèse, la difficulté juridique réside dans l'appréciation de la validité du déroulement du scrutin avec la seule participation du secteur des employeurs et de celui des agriculteurs, alors même que l'article 125 du code électoral prescrit explicitement à tout électeur de mettre dans l'enveloppe réservée à cet effet trois bulletins, un pour chaque secteur et prévoit, en cas d'inobservation de cette formalité, la nullité du vote; que dès lors se pose la question de savoir si l'on est en droit de priver deux secteurs professionnels de leur droit de présenter des candidats et d'être représentés à la Chambre des conseillers en raison de l'absence du troisième secteur et par la même d'entraver la formation d'une institution constitutionnelle,

Considérant qu'il est impérieux dans ce cas et d'un point de vue purement juridique, de concilier entre d'une part les exigences du respect de la liberté de chaque organisation relevant d'un secteur professionnel de présenter ou non une liste de candidats et la garantie du droit de participation des deux autres secteurs, et d'autre part les prescriptions du dernier paragraphe de l'article 125 du code électoral,

Considérant, sans conteste, que l'exercice par une organisation représentant à elle seule un secteur professionnel, de son droit de ne pas présenter de candidature, rend impossible l'application de la formalité selon laquelle l'électeur doit choisir une liste pour le secteur des salariés, et par là même le fait de mettre dans l'enveloppe réservée à cet effet, les trois bulletins qu'il aura choisi, un pour chaque secteur, comme en dispose le deuxième paragraphe in fine de l'article 125 du dit code

Considérant que l'impossibilité matérielle et juridique de mettre à la disposition des électeurs au moins un bulletin pour chaque secteur professionnel, conformément au 1er paragraphe de l'article 124 du code électoral, autorise de considérer que les conditions juridiques du deuxième paragraphe de l'article 125 du dit code ne sont pas réunies, tant il est vrai qu'il ne peut être exigé des électeurs de mettre trois bulletins dans l'enveloppe réservée à cet effet, alors que le déroulement de l'opération électorale commande, dans ce cas précis, de ne présenter que deux bulletins, que l'impossibilité rend ces prescriptions inapplicables du fait même de l'inexistence des éléments requis pour sa mise en œuvre.

Considérant qu'il résulte de l'application des règles générales de droit que l'impossibilité produit un effet exonératoire de la formalité requise qui, de ce fait s'en trouve écartée,

Considérant que l'électeur n'est pas tenu dans ce cas de satisfaire à la formalité impossible et par là même n'est tenu de choisir ni de mettre dans l'enveloppe réservée à cet effet, que les bulletins mis à sa disposition dans la limite des candidatures définitives au titre des secteurs professionnels.

Par ces motifs, émet l'avis suivant:

1- La non participation d'organisation représentant le secteur des salariés et la limitation des candidatures à deux secteurs professionnels, pour l'élection des membres de la Chambre des conseillers fixée au dimanche 3 juillet 2005, ne sont pas de nature à entraver le déroulement des opérations électorales aussi bien pour les secteurs que pour les gouvernorats.

2- La non présentation de liste au titre du secteur des salariés exonère, dans le présent cas, de l'obligation de mettre le bulletin au titre de ce secteur à la disposition de l'électeur qui, de ce fait, devra exercer son choix dans la limite des listes présentées.

Le 16 juin 2005

Journal Officiel de la République Tunisienne - 21 juin 2005; Page 1388.

Note:

C'est l'un des plus importants avis du conseil constitutionnel Tunisien. L'avis de la doctrine à son propos a divergé entre contestation et approbation.

Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut se référer à la constitution qui a prévu la composition de la chambre des conseillers, chambre nouvellement créée pour instaurer le bicaméralisme en Tunisie.

En effet, l'article 19 (nouveau) de la constitution dispose que «Les membres de la Chambre des conseillers se répartissent comme suit: Un membre ou deux pour chaque gouvernorat, selon le nombre des habitants, est élu ou sont élus à l'échelle régionale, parmi les membres élus des collectivités locales. Le tiers des membres de la Chambre est élu à l'échelle nationale, parmi les employeurs, les agriculteurs et les salariés ; les candidatures sont proposées par les organisations professionnelles concernées, dans des listes comprenant au minimum le double du nombre des sièges réservés à chaque catégorie. Les sièges sont répartis à égalité entre les secteurs concernés.».

Ainsi, le tiers de cette seconde chambre est composé de représentants des trois secteurs dont la candidature est proposée par les organisations professionnelles dans des listes contenants le double (au minimum) du nombre des sièges réservés à chaque catégorie.

Déjà, on sent le problème. En effet, la "logique juridique" ne commandait-elle pas que l'imposition d'une liste contenant le double de nombre soit laissée au soin du code électoral?

Un problème de surcroit qui s'ajoute à un autre. Cette disposition constitutionnelle est impérative. Le tiers de la chambre doit être constitué de cette façon. C'est-à-dire représenté par 3 secteurs qui sont représentatifs en Tunisie par 3 organisations seulement. (UTICA pour les employeurs; UGTT pour les salariés et UAT pour les agriculteurs).

Le passage par ces 3 organisations est incontournable.

Il est clair que la rédaction de cet article est réellement défectueuse bien que le principe postulé par son énoncé et le but recherché est certainement "Trop Noble".

A cette sauce, s'ajoute le sel qui a rendu le plat pathologique.

L'article 125 (nouveau) du code électoral dispose qu' «Est considéré nul le bulletin contenant un nombre de noms inférieur ou supérieur à celui des sièges à pourvoir au secteur. N'est pas prise en considération toute enveloppe ne contenant pas trois bulletins de vote pour tous les secteurs».

Toute enveloppe ne contenant pas 3 bulletins est considérée nulle.

L'UGTT, organisation syndicale représentant les salariés, invitée d'office pour présenter des candidats à cette chambre, n'a pas manqué de marquer l'histoire de l'institution nouvellement créée.

En effet, L'UGTT a simplement refusé de présenter un nombre double de candidats au nombre de sièges qui lui sont réservés. Il est évident que l'UGTT n'est pas conforme à la disposition de la loi sur ce point. Peu importe les motifs de cette organisation, son choix a sonné l'alerte de la défaillance du dispositif juridique mis en place pour permettre l'instauration de la seconde chambre parlementaire.

Détectant la faille, l'UGTT a tout simplement refusé de présenter ses listes. La menace sur le bon déroulement des élections de la chambre des conseillers est devenue effective.

Une menace, car c'est le 1/3 de la chambre qui pourrait sauter.

En effet, le choix des représentants des 3 secteurs se fait en une seule enveloppe. Les électeurs ne choisissent pas les représentants de 3 secteurs concernés par des bulletins de vote séparés et indépendants.  Mais ils le font en une seule enveloppe. Schématiquement, un électeur choisit une liste des salariés, une des employeurs et une des agriculteurs et les met en une seule enveloppe. Toute enveloppe ne contenant pas 3 bulletins est considérée comme nulle.

L'UGTT n'ayant pas présenté des candidats, les électeurs n'auront à leurs dispositions que 2 bulletins seulement.

Techniquement, aucun représentant de ses 3 secteurs ne sera élu. Le vote du 1/3 de la chambre étant frappé de nullité.

Le 1/3 étant mis hors service, c'est toute la chambre qui se trouve "coupe-circuité".

C'est dans ce cadre que l'avis du conseil a été sollicité.

Comment le conseil a trouvé la solution?

Il invente un principe juridico-philosophique fort intéressant:

«L'impossibilité produit un effet exonératoire de la formalité requise qui, de ce fait s'en trouve écartée». Un principe qui se justifie par le fait qu'il serait injuste «de priver deux secteurs professionnels de leur droit de présenter des candidats et d'être représentés à la Chambre des conseillers en raison de l'absence du troisième secteur et par la même d'entraver la formation d'une institution constitutionnelle».

Le conseil ayant anesthésié le problème, le réel traitement serait une opération "chirurgicale" des articles 19 (constitution) et 125 (code électoral).

 

samedi 20 octobre 2007

Les Cavaliers législatifs !!!

 

Avis n° 71-2005 du Conseil constitutionnel concernant certaines dispositions du projet de loi de finances pour l'année 2006

Vu la Constitution et notamment ses articles 18, 28, 34, 36, 69 et 72,

Vu la loi organique n° 67-53 du 8 décembre 1967 portant loi organique du budget telle que modifiée et complétée par les textes subséquents et notamment par la loi organique n° 2004-42 du 13 mai 2004,

Vu les articles soumis du projet de loi de finances pour l'année 2006, ayant pour objet de : - désigner l'ordonnateur de la Chambre des conseillers (les articles 10 et Il),

- étendre le champ d'intervention des sociétés d'investissement à capital risque (l'article 22),

- créer des fonds communs de placement à risque et déterminer leur régime fiscal (les articles 23, 24, 25 et 26),

- étendre le champ d'intervention du régime de garantie des prêts accordés aux moyennes entreprises dans l'industrie et les services et des participations dans leur capital (les articles 27, 28 et 29),

- faciliter l'intégration des sociétés totalement exportatrices dans le tissu économique national (l'article 36),

- rationaliser les modes de décompte des délais de prescription en cas de défaut de déclaration (l'article 51),

- prévoir la qualité pour agir en justice au stade de la cassation aux services centraux et étendre les modes de notification appliqués en première instance et en appel à la cassation (l'article 54),

- prévoir l'obligation d'insérer le matricule fiscal ou le numéro de la carte d'identité nationale dans quelques annonces et publicités obligatoires (l'article 56),

- déterminer le titre exécutoire pour le recouvrement des recettes revenant aux collectivités locales (les articles 57 et 58),

Sur la saisine du Conseil :

Considérant que l'article 72 de la Constitution prévoit, notamment, que le Conseil constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la République quant à leur conformité ou leur compatibilité avec la Constitution ;

Considérant qu'aux termes de l'article 36 de la Constitution, la loi autorise les ressources et les charges de l'Etat;

Considérant que les articles soumis font partie du projet de loi de finances pour l'année 2006 ;

Considérant qu'aux termes de l'article premier de la loi organique du budget, «la loi de finances prévoit et autorise, pour chaque année, l'ensemble des charges et des ressources de l'Etat dans le cadre des objectifs des plans de développement et compte tenu de l'équilibre économique et financier défini par le budget économique» ;

Considérant que l'article 26 de la loi organique du budget prévoit, également, ce qui suit : Le projet de la loi de fiances comprend des dispositions relatives à:

- l'autorisation de perception des ressources publiques et la détermination de leur montant global,

- la fixation des voies et moyens applicables aux dépenses de gestion et aux dépenses de développement et la détermination du plafond des crédits ouverts au profit du budget de l'Etat et des budgets des établissements publics, en tenant compte des dispositions relatives aux crédits à caractère évaluatif,

- la mobilisation des ressources fiscales et non fiscales ainsi que la détermination des procédures financières,

- la création des fonds spéciaux du trésor et des fonds spéciaux ainsi que leur modification ou leur suppression,

- la fixation du plafond des garanties consenties par l'Etat et du plafond des prêts du trésor,

- l'autorisation afférente aux emprunts et obligations contractés au profit de l'Etat.

 

Le projet de la loi de finances comprend également des tableaux détaillés relatifs à la répartition :

- des ressources du budget de l'Etat par catégorie et article,

- des dépenses du budget de l'Etat par chapitre et par partie en fixant les crédits de programme, les crédits d'engagement et les crédits de paiement pour les dépenses de développement,

- des ressources et des dépenses des établissements publics et des ressources et des dépenses des fonds spéciaux du trésor ;

Considérant qu'il ressort des articles en question que la loi de finances comprend les dispositions relatives aux ressources et charges publiques, à la mobilisation des ressources fiscales et non fiscales et aux opérations financières de l'Etat ;

Considérant que si la saisine se limite à la soumission de certains articles du projet de la loi de finances, cela ne fait pas pour autant obstacle à ce que le Conseille examine dans ce cadre et dans la mesure où ces articles ou ensemble d'articles pris isolément constituent en eux ­mêmes des dispositions autonomes vis-à-vis des autres dispositions contenues dans le projet de la loi de finances;

Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution, la saisine du Conseil constitutionnel est obligatoire pour les projets de loi relatifs à la procédure devant les différents ordres de juridictions, aux obligations et aux principes fondamentaux du régime de la propriété;

Considérant que les articles 10, 11, 51, 54 et 56 soumis contiennent, notamment, des dispositions ayant trait à la procédure devant les différents ordres de juridictions, que les articles 22, 23, 27,28,29, 36 et 56 contiennent, par ailleurs, des dispositions ayant trait aux obligations et aux principes fondamentaux du régime de la propriété;

Considérant que les dispositions prévues par ces articles s'insèrent, eu égard à leur objet, dans le cadre de la saisine obligatoire;

 

Sur le fond :

 

En ce qui concerne les articles 22 et 23 du projet de loi de finances pour l'année 2006:

Considérant que l'article 28 de la Constitution prévoit une procédure et des délais réservés à l'adoption des lois de finances selon les conditions prévues par la loi organique du budget;

Considérant qu'aux termes de l'article 36 de la constitution, la loi autorise les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions prévues par la loi organique du budget;

Considérant que l'article 22 du projet de loi de finances soumis comprend des dispositions ayant pour objet d'ajouter de nouvelles dispositions au premier paragraphe de l'article 22 de la loi n° 88-92 du 2 août 1988 modifiée par la loi n° 95-87 du 30 octobre 1995 et relative aux sociétés d'investissement, permettant aux sociétés d'investissement à capital risque d'accorder aux associés des avances sous forme de compte courant associés au profit des sociétés dans lesquelles elles détiennent une part du capital ;

Considérant que l'article 23 du projet de loi de finances soumis vise à ajouter un deuxième chapitre bis relatif aux fonds communs de placement à risque, et l'insérer au premier titre du code des organismes de placement collectif promulgué par la loi n° 2001-83 du 24 juillet 2001 ;

Considérant que les dispositions ajoutées contiennent, essentiellement, une définition des fonds communs de placement à risque et une indication de leurs objectifs, que les articles ajoutés contiennent des dispositions relatives aux formes des participations des fonds communs de placement à risque et aux conditions de la demande de rachat de leurs parts par les porteurs des parts du fonds ;

Considérant que, si les dispositions prévues aussi bien par l'article 22 que par l'article 23 du projet soumis ne soulèvent aucune inconstitutionnalité quant à leur objet, celui-ci n'a pas, néanmoins, de lien avec les prescriptions des dispositions de l'article premier et l'article 26 de la loi organique du budget;

Considérant qu'il apparaît ainsi que la nature de l'objet des articles 22 et 23 du projet de loi de finances soumis n'autorise pas à ce qu'ils soient pris selon la procédure et les délais réservés à l'adoption de la loi de finances et qui différent de ceux qui régissent la prise des lois ordinaires et organiques, qu'il s'ensuit que leur intégration dans la loi de finances n'est pas conforme aux articles 28 et 36 de la Constitution;

 

En ce qui concerne l'article 54 du projet de loi de finances pour l'année 2006 :

 

Considérant que la modification soumise du premier paragraphe de l'article 69 du code des droits et procédures fiscaux ouvre la possibilité pour se pourvoir en cassation, au nom de l'administration, exclusivement aux services centraux de la-fiscalité;

Considérant qu'il ressort de l'article 69 de la Constitution qu'il renvoie à la loi la fixation de la compétence du tribunal administratif et de la procédure applicable devant lui,

Considérant qu'aux termes de l'article 28 de la Constitution, la loi visée dans son article 69 a le caractère d'une loi organique,

Considérant que selon l'article 70 de la loi organique relative au Tribunal administratif, ne peuvent se pourvoir en cassation que les parties au jugement objet du pourvoi ou leurs ayants cause;

Considérant que, si cette formulation englobe les services centraux de la fiscalité en tant que partie eu égard, notamment, à l'unité de l'administration fiscale, abstraction faite de son organigramme, la limitation du pourvoi en cassation devant le Tribunal administratif aux seuls services centraux de la fiscalité, dans l'article 69 du code des droits et procédures fiscaux alors même que ce code est promulgué en vertu d'une loi ordinaire, ne s'accorde pas avec l'article 70 de la loi organique relative au Tribunal administratif;

Considérant que, sans débattre de l'éventualité d'exclure les autres parties assujetties à l'impôt, selon les termes de l'article 69 précité visé par l'article 54 du projet de loi de finances, avec ce que cela peut représenter, dans ce cas, sur le plan de la méconnaissance du droit d'accès à la justice, s'il est loisible au législateur d'opérer, dans une loi ordinaire, un renvoi à des dispositions contenues dans une loi organique ou de procéder à un rappel de ces dispositions, cela doit demeurer dans les limites de ce que prévoient les dispositions contenues dans la loi organique sans ajout, ni suppression ou modification;

Considérant qu'ainsi, le premier paragraphe de l'article 69 soumis tel que prévu par l'article 54 du projet de loi de finances n'est pas conforme aux articles 28 et 69 de la Constitution;

 

En ce qui concerne l'article 57 du projet de loi de finances pour l'année 2006 :

Considérant que l'article 57 du projet de loi de finances soumis dispose que seront remplacées, selon le cas, des expressions dans la version arabe utilisées dans le code de la fiscalité locale promulgué en vertu de la loi n° 97 -11 du 3 février 1997 par d'autres et ce dans le respect des règles grammaticales ;

Considérant qu'aux termes de l'article 18 de la Constitution, le peuple exerce le pouvoir législatif par l'intermédiaire de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers ou par voie de référendum;

Considérant que l'article 28 de la Constitution dispose que la Chambre des députés et la Chambre des conseillers adoptent les projets de loi de finances;

Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine l'assiette, les taux et la procédure de recouvrement de l'impôt, tant qu'une délégation n'est pas donnée, à cet effet, au Président de la République par les lois de finances ou les lois à caractère fiscal,

Considérant que la formulation selon laquelle l'article 57 du projet est soumis ne concerne pas la délégation au président de la République, telle que prévue par l'article 34 de la Constitution en ce qui concerne la détermination de l'assiette, les taux ou la procédure du recouvrement de l'impôt;

Considérant que les dispositions de l'article 57 précité, dans leur formulation proposée et, notamment, en ce qui concerne les structures de la langue et les règles d'accord selon le contexte dans lequel elles sont prévues, ouvre le champ, sans aucune précision, à des autorités autres que le pouvoir législatif pour agir sur le texte de loi et y introduire des modifications ;

Considérant que, dans l'établissement de la règle juridique, on ne peut pas séparer la formulation définitive du texte et son contenu, dans le cadre de la compétence prévue au profit du pouvoir législatif, dans le cas présent, par les articles 18, 28 et 34 de la Constitution;

Considérant que l'article 57 du projet de loi de finances tel qu'ainsi formulé est, par conséquent, incompatible avec les articles 18,28 et 34 de la Constitution;

En ce qui concerne les articles 10, 11, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 36, 51, 54, 56, 57 et 58 du projet de loi de finances pour l'année 2006 :

Considérant que ces articles ont trait aux ressources et aux dépenses de l'Etat, à la mobilisation des ressources fiscales et non fiscales et aux opérations financières, que leur insertion dans la loi de finances s'accorde avec la loi organique du budget et est, par conséquent, conforme, de ce point de vue, aux dispositions des articles 28 et 36 de la Constitution; 

En ce qui concerne l'article 11 du projet de loi de finances pour l'année 2006 :

Considérant que cet article étend au président de la Chambre des conseillers les dispositions de l'article 9 de la loi n° 85-74 du 20 juillet 1985, en conférant au président de ladite Chambre qualité pour l'introduction des requêtes devant la cour de discipline financière ;

Considérant qu'il ressort de l'article 72 de la Constitution que le Conseil constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la République;

Considérant que l'article 11 soumis se limite à étendre des dispositions d'une loi en vigueur qui est la loi n° 85-74 précitée,

Considérant que les dispositions prévues par l'article Il soumis ne sont pas contraires à la Constitution et sont compatibles avec celle-ci;

Considérant que le reste des articles ne sont pas contraires aux dispositions de la Constitution, qu'ils sont, par conséquent, compatibles avec celle-ci, à l'exception des articles 54 et 57 du projet de loi de finances soumis,

Emet l'avis suivant: 

Les dispositions soumises du projet de loi de finances pour l'année 2006 ne soulèvent aucune inconstitutionnalité, à l'exception:

-                        de l'insertion de ses articles 22 et 23 dans la loi de finances, qui n'est pas conforme aux articles 28 et 36 de la Constitution,

-                        de l'article 54 du projet en question qui n'est pas conforme aux articles 28 et 69 de la Constitution et de l'article 57 qui est incompatible avec les articles 18, 28 et 34 de la Constitution.

 

Avis n° 72 -2005 du Conseil constitutionnel concernant certaines dispositions du projet de loi de finances pour l'année 2006

Le Conseil constitutionnel,

Vu la lettre du Président de la République en date du 21 octobre 2005, parvenue au Conseil constitutionnel à la même date et soumettant au Conseil certaines dispositions du projet de loi de finances pour l'année 2006, en déclarant l'urgence,

Vu la Constitution et notamment ses articles 28, 36 et 72,

Vu la loi organique n° 67-53 du 8 décembre 1967 portant loi organique du budget telle que modifiée et complétée par les textes subséquents et notamment par la loi organique n° 2004-42 du 13 mai 2004,

Vu son avis n° 71-2005 en date du 19 octobre 2005 et par lequel il a soulevé des inconstitutionnalités concernant, d'une part, l'insertion de certaines dispositions dans la loi de finances et, d'autre part, le contenu d'autres dispositions,

Sur la saisine du Conseil :

Considérant que le Conseil a déjà été saisi de dispositions du projet de loi de finances pour l'année 2006, par lettre du Président de la République en date du 12 octobre 2005, qu'il a émis, à son sujet, le 19 octobre 2005, un avis par lequel il a soulevé des inconstitutionnalités concernant l'insertion, d'une part, d'un article dans la loi de finances ayant pour objet d'étendre le champ d'intervention des sociétés d'investissement à capital risque et d'un article ayant pour objet de créer des fonds communs de placement à risque et, d'autre part, d'un article modifiant l'article 69 du code des droits et procédures fiscaux et qui n'est pas conforme aux articles 28 et 69 de la Constitution et d'un article ayant pour objet de changer des expressions prévues par le code de la fiscalité locale, ce qui est incompatible avec les articles 18, 28 et 34 de la Constitution;

Sur le fond:

Considérant que la saisine du Conseil ne concerne pas les dispositions dont l'insertion dans la loi de finances soulève une inconstitutionnalité, conformément à l'avis du Conseil cité ci-haut;

Considérant que les articles soumis du projet de loi de finances pour l'année 2006 ont trait aux ressources et aux dépenses publiques, à la mobilisation des ressources fiscales et non fiscales et aux opérations financières, que leur insertion dans la loi de finances en vertu de la loi organique du budget est, de ce fait, conforme aux dispositions des articles 28 et 36 de la Constitution;

Considérant que la présente saisine ne comporte pas l'article 54 du projet de loi de finances modifiant les dispositions de l'article 69 du code des droits et procédure~ fiscaux;

Considérant que l'article 57 du projet de loi de finances pour l'année 2006 est soumis dans une nouvelle formulation précisant de façon explicite le changement qu'il est projeté d'introduire en ce qui concerne certaines expressions prévues par des articles du code de la fiscalité locale,

Considérant qu'il apparaît de la lecture de l'article 57 soumis dans sa nouvelle version que l'inconstitutionnalité soulevée par le Conseil, a son sujet, a été écartée, que la présente version est, de ce fait, compatible avec la Constitution;

Considérant que le reste des articles soumis du projet de loi de finances, de par leur objet, ne sont pas contraires aux dispositions de la Constitution et sont, par conséquent, compatibles avec celle-ci;

Emet l'avis suivant :

Les dispositions soumises du projet de loi de finances pour l'année 2006 ne soulèvent aucune inconstitutionnalité.

Le samedi 22 octobre 2005

Journal Officiel de la République Tunisienne - 20 décembre 2005. Page 3703

Notes:

On retient:

-                        Si la saisine se limite à la soumission de certains articles du projet de la loi de finances, cela ne fait pas pour autant obstacle à ce que le Conseille examine dans ce cadre et dans la mesure où ces articles ou ensemble d'articles pris isolément constituent en eux ­mêmes des dispositions autonomes vis-à-vis des autres dispositions contenues dans le projet de la loi de finances.

-                        Même si Les dispositions prévues aussi bien par l'article 22 que par l'article 23 du projet soumis ne soulèvent aucune inconstitutionnalité quant à leur objet, celui-ci n'a pas, néanmoins, de lien avec les prescriptions des dispositions de l'article premier et l'article 26 de la loi organique du budget.

-                        La formulation englobe relative aux services centraux de la fiscalité en tant que partie eu égard, notamment, à l'unité de l'administration fiscale, abstraction faite de son organigramme, la limitation du pourvoi en cassation devant le Tribunal administratif aux seuls services centraux de la fiscalité, dans l'article 69 du code des droits et procédures fiscaux alors même que ce code est promulgué en vertu d'une loi ordinaire, ne s'accorde pas avec l'article 70 de la loi organique relative au Tribunal administratif.

-                        Les dispositions de l'article 57 précité, dans leur formulation proposée et, notamment, en ce qui concerne les structures de la langue et les règles d'accord selon le contexte dans lequel elles sont prévues, ouvre le champ, sans aucune précision, à des autorités autres que le pouvoir législatif pour agir sur le texte de loi et y introduire des modifications .