samedi 18 août 2007

Le domaine des Décrets-lois et le Principe constitutionnel du Pluralisme

Avis n° 73-2005 du Conseil constitutionnel concernant un projet de loi organique portant approbation du décret.loi n° 2005.1 du 10 août 2005 relatif à la composition des conseils régionaux

 

Vu la Constitution et notamment ses articles 28, 31, 71 et 72,

 

I- Sur la saisine du Conseil:

 

Considérant que le projet de loi organique soumis a pour objet l'approbation du décret-loi n° 2005-1 du 10 aout 2005;

Considérant que le décret - loi qu'il est projeté de soumettre à l'approbation comprend des dispositions relatives à la composition des conseils régionaux;

Considérant que l'article 71 de la Constitution prévoit, notamment, que les conseils régionaux gèrent les affaires locales dans les conditions prévues par la loi;

Considérant qu'il ressort de l'article 28 de la Constitution que la loi prévue à son article 71 revêt la forme de loi organique;

Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution, le Conseil constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la République quant à leur conformité ou leur compatibilité avec la constitution et la saisine du Conseil est obligatoire pour les projets de loi organiques;

Considérant que le projet de loi organique, eu égard aux dispositions du décret.loi qu'i1 est projeté de soumettre à l'approbation, s'insère dans le cadre de la saisine obligatoire;

II- Sur le fond:

ü     En ce qui concerne le domaine du décret-loi et son approbation:

Considérant qu'aux termes de l'article 31 de la Constitution, "le Président de la République peut, pendant les vacances de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers, prendre des décrets-lois qui sont soumis, selon le cas, à approbation de la Chambre des députés ou des deux Chambres, au cours de la session ordinaire qui suit les vacances";

Considérant que cet article est prévu dans une formulation générale et autorise le Président de la République à prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi, sans distinguer à ce sujet, entre les lois ordinaires et les lois organiques.

Considérant que l'article 31 précité ne prévoit pas de procédure spéciale pour l'approbation des décrets-lois;

Considérant que la Chambre des députés et la Chambre des conseillers exercent pleinement leurs attributions lors de l'examen du projet de loi d'approbation conformément aux dispositions constitutionnelles, tant pour l'approbation, son refus ou le droit d'amendement, que pour la procédure d'approbation.

Considérant que les dispositions du décret-loi qu'il est projeté de soumettre à l'approbation, s'insèrent dans le champ d'application de l'article 71 de la Constitution que la loi l'approuvant a le caractère de loi organique selon les dispositions de l'article 28 de la Constitution.

Considérant que le fait de soumettre le projet de loi sous la forme de loi organique avec ce que cela implique comme procédure spéciale pour son examen et son approbation, est conforme à la Constitution;

 

ü     En ce qui concerne les dispositions prévues aux articles premier et deuxième du décret-loi :

Considérant que le décret -loi comprend des dispositions relatives à la répartition des sièges dans les conseils régionaux existants à la date de sa parution, dans le but d'en assurer vingt pour cent des membres ayant le droit de vote au profit de membres n'appartenant pas à la majorité, de façon à garantir le pluralisme dans ces conseils, tant qu'il ya des conseillers municipaux n'appartenant pas à ladite majorité;

Considérant que la désignation de ces membres se fait parmi des conseillers municipaux et selon des conditions objectives fixées de façon précise au deuxième article du décret-loi;

Considérant qu'il ressort du paragraphe 2 de l'article 5 de la Constitution que le pluralisme constitue un des fondements de la République en tant que base de la construction de l'Etat et de la société, de la consécration des libertés et de la réalisation de la démocratie;

Considérant que les dispositions du décret-loi qu'il est projeté de soumettre à l'approbation visent à concrétiser un principe constitutionnel prévu par l'article 5 de la Constitution.

Considérant que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution et sont compatibles avec celle-ci. Que le projet de loi organique soumis est, de la sorte, conforme à la Constitution;

III- Emet ravis suivant:

Le projet de loi organique portant approbation du décret-loi n° 2005-1 du 10 août 2005 relatif à la composition des conseils régionaux ainsi que le décret-loi objet de l'approbation, ne soulèvent aucune inconstitutionnalité.

 

Le vendredi 21 octobre 2005

Journal Officiel de la République Tunisienne - 13 janvier 2006; Page 100.

Note:

C'est l'un des rares avis du CC à propos des décrets-lois; riche en enseignement, en plus.

D'abord, le CC commence par nous éclairer à propos d'une question importante: le domaine des décrets-lois.

Le CC estime à juste titre que l'article 31 de la constitution est prévu "dans une formulation générale" ce qui "autorise le Président de la République à prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi, sans distinguer à ce sujet, entre les lois ordinaires et les lois organiques"....

Question qui va paraitre bête: au vu de l'analyse du CC, on peut dire qu'il a implicitement exclu les lois constitutionnelles au domaine des décrets-lois!, mais par quel raisonnement? Pour quel motif?

Comment différencier une loi ordinaire, de celle organique et de celle constitutionnelle? Le 1er critère à retenir est la procédure suivie pour son adoption.

Si, en suivant le raisonnement du CC formellement, et en supposant que l'article 31 ne fait de distinction ainsi qu'en se plaçant au niveau du contrôle parlementaire post décret-loi, on ne voit pas pour quelle raison le président ne serait pas apte à prendre des décrets-lois dans un domaine de la compétence de la loi constitutionnelle.

Non. le conseil nous le dit, mais implicitement. Le domaine des décrets-lois ne peut s'étendre au domaine de la loi constitutionnelle.

Ensuite, le CC nous fait savoir que "la Chambre des députés et la Chambre des conseillers exercent pleinement leurs attributions lors de l'examen du projet de loi d'approbation conformément aux dispositions constitutionnelles, tant pour l'approbation, son refus ou le droit d'amendement, que pour la procédure d'approbation". Le parlement peut exercer un contrôle à posteriori.

Avant la révision de 2002, le président de la république pouvait prendre les décrets-lois mais en concert avec la commission parlementaire permanente compétente. C'est pour cette raison, à notre avis, que la constitution et le règlement de la chambre des députés prévoyaient que ces commissions travaillaient même au cours des vacances parlementaires.

Avec la révision 2002, cette obligation de prendre l'avis de la commission permanente a été tout simplement écartée sans pour autant dispenser les commissions de travailler au cours des vacances.

A notre avis, le motif de l'éviction de la disposition obligeant le président de la république à se concerter avec la commission permanente compétente avant de prendre un décret-loi se justifie par le fait qu'il serait aberrant de lier le président de la république, élu au suffrage direct par le peuple et donc jouissant d'une légitimité populaire, par une structure faisant partie d'une assemblée parlementaire, même si ses membres sont aussi élus au même titre.

Enfin, le CC hisse le pluralisme au titre d'un principe constitutionnel. Ainsi, "le pluralisme constitue un des fondements de la République en tant que base de la construction de l'Etat et de la société, de la consécration des libertés et de la réalisation de la démocratie…" ce qui en fait "un principe constitutionnel prévu par l'article 5 de la Constitution".

Il faut noter qu'ici, le CC a parlé de fondement de la république et non d'objectif ou but de la constitution. Une différence notable.

jeudi 16 août 2007

Le contrôle de la procédure législative

Avis n° 53-2006 du Conseil constitutionnel sur un projet de loi relatif à l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel

Vu la Constitution et notamment son préambule et ses articles 16, 33, 34, 52, 72 et 73,

Vu la loi organique n° 2004-48 du 14 juin 2004 portant organisation du travail de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers et fixant les relations entre les deux Chambres,

I- Sur la saisine du Conseil :

Considérant que la Chambre des députés a adopté le projet de loi relatif à l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel;

Considérant que la Chambre des conseillers a adopté le projet de loi précité en y introduisant des amendements;

Considérant que la Chambre des députés a adopté un texte commun sur les dispositions objet du désaccord;

Considérant qu'aux termes du deuxième paragraphe de l'article 73 de la Constitution, le Président de la République soumet au Conseil constitutionnel , durant le délai de promulgation et de publication prévu à l'article 52 de la Constitution, les modifications concernant le fond[1] apportées aux projets de loi adoptés par la Chambre des députés et qui ont été précédemment soumis au Conseil constitutionnel conformément aux dispositions dudit article 73 ;

Considérant que le Conseil constitutionnel a déjà examiné le projet en question, conformément aux dispositions de l'article 72 et du premier paragraphe de l'article 73 de la Constitution;

Considérant que le projet amendé est parvenu au Conseil Constitutionnel au cours du délai de promulgation et de publication prévu à l'article 52 de la Constitution, en vue d'examiner les modifications qui lui ont été apportées ;

Considérant que l'examen par le Conseil des modifications concernant le fond apportées par la Chambre des députés au projet de loi relatif à l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel s'insère, dans ce cas, dans le cadre des prescriptions de l'article 73 de la Constitution;

II- Sur la procédure :

Considérant que le sixième paragraphe de l'article 33 de la Constitution dispose notamment que lorsque la Chambre des conseillers adopte le projet de loi en y introduisant des amendements, une commission mixte paritaire; composée de membres des deux Chambres, est constituée, sur proposition du Gouvernement, en vue d'élaborer, dans un délai d'une semaine, un texte commun approuvé par le Gouvernement et portant sur les dispositions objet du désaccord entre les deux Chambres.

Considérant que le septième paragraphe du même article dispose qu'en cas d'accord sur un texte commun, celui-ci est soumis à la Chambre des députés pour statuer définitivement dans un délai d'une semaine.

Considérant qu'il ressort des documents joints au projet de loi, qu'un texte commun a été adopté par la commission mixte paritaire constituée à cet effet; que la Chambre des députés a adopté le texte commun, le tout dans le respect des procédures et des délais prévus par l'article 33 de la Constitution et ceux prévus par la loi organique n° 2004­48 du 14 juin 2004 portant organisation du travail de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers et fixant les relations entre les deux Chambres,

Considérant qu'ainsi les procédures d'adoption ont eu lieu dans le respect des dispositions constitutionnelles et légales ;

II- Sur le fond :

Considérant que les modifications de fond apportées au projet examiné ont touché ses articles 1er , 2 et 3 ;

Considérant que la modification de l'article 1er du projet a pour objet d'ajouter des dispositions portant extension de l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux, du droit d'enregistrement proportionnel et son remplacement par un droit fixe, aux donations de nue-propriété et d'usufruit des biens immeubles;

Considérant que la modification de l'article 2 du dit projet, concerne l'extension de l'exonération du droit de l'inscription sur le registre foncier et son remplacement par un droit fixe, aux donations de nue-propriété et de l'usufruit d'immeubles entre ascendants et descendants et entre époux.

Considérant que la modification de l'article 3 porte extension de l'exonération du droit proportionnel de mutation et de partage des immeubles non immatriculés et son remplacement par un droit fixe, aux donations de nue-propriété et de l'usufruit entre ascendants et descendants et entre époux.

Considérant que l'article 16 de la constitution dispose que le paiement de l'impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l'équité, constituent un devoir pour chaque personne

Considérant que l'article 34 dispose notamment que sont pris sous forme de loi les textes relatifs à l'assiette et aux taux des impôts;

Considérant que les modifications apportées audit projet s'insèrent dans le cadre des dispositions des articles 16 et 34 de la constitution et sur la base de son préambule en ce qui concerne la protection de ta famille et tel qu'il a été expliqué dans l'avis n° 31-2006 du 21 juin 2006.

Considérant qu'il apparaît de l'étude de ces amendements qu'ils ne sont pas contraires à la constitution et sont compatibles avec celle-ci;

 

IV- Emet l'avis suivant :

Les amendements concernant le fond, apportés au projet de loi relatif à l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel et adoptés par la Chambre des députés, ne soulèvent aucune inconstitutionnalité.

Le Samedi 28 octobre 2006

Journal Officiel de la République Tunisienne - 3 novembre 2006; Page 3877.

Note:

Un Avis important spécialement sur le plan du droit parlementaire.

L'avis concerne un projet de loi qui a fait l'objet d'une commission mixte paritaire. C'est la 1ère CMP qu'a connu l'expérience tunisienne du bicaméralisme.

Ce qui est important à noter c'est la vérification faite par le CC de la procédure suivie par la chambre des députés.

Ça nous ramène à une question déjà posée: Le CC serait-il entrain de contrôler la procédure législative?



[1] - mieux lire "modifications quant au fond". La traduction n'est pas tout à fait adéquate.

La protection de la famille: Un "objectif constitutionnel"

Avis n° 31-2006 du Conseil constitutionnel sur un projet de loi relatif à l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel

Vu la Constitution et notamment son préambule et ses articles 16, 34 et 72,

I- Sur la saisine du Conseil :

Considérant que l'examen du projet de loi s'insère dans le cadre du premier paragraphe de l'article 72 de la Constitution;

II- Sur le fond :

Considérant que le projet soumis a trait, notamment, à l'exonération des contrats de donation entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel et son remplacement par un droit fixe ainsi que le remplacement du droit proportionnel exigé lors de l'inscription au registre foncier par un droit fixe, et à la détermination du prix de revient en ce qui concerne les opérations de vente de biens objet de donation, sur la base de leur valeur à la date de leur acquisition par le donateur; que le projet prévoit, également, l'exonération des contrats de donation entre ascendants et descendants et entre époux ne faisant pas mention de la justification du paiement des droits d'enregistrement afférents à la dernière mutation, du droit d'enregistrement proportionnel;

Considérant que les articles 1,2,3 et 4 du projet soumis prévoient l'ajout de nouvelles dispositions au code des droits d'enregistrement et de timbre ainsi qu'à l'article 26 de la loi n° 80-88 et à l'article 61 de la loi n° 2002-101 portant, respectivement, loi de finances pour l'année 1981 et loi de finances pour l'année 2003, ces nouvelles dispositions soumettant les donations de biens entre ascendants et descendants et entre époux au droit fixe, quant aux droits d'enregistrement, aux droits d'immatriculation au registre foncier et au droit de mutation de la propriété des immeubles non immatriculés ;

Considérant que l'article 34 de la Constitution prévoit, notamment, que sont pris sous forme de lois les textes relatifs à la détermination de l'assiette, des taux et de la procédure de recouvrement des impôts ;

Considérant qu'il est loisible au législateur, dans le cadre de ces attributions et selon son appréciation de l'intérêt général, de modifier les dispositions fiscales est les taux des impôts, tant que cela ne porte pas atteinte aux règles et principes prévus par la Constitution;

Considérant que le fait d'accorder des facilités fiscales concernant la mutation de la propriété par la voie de la donation entre ascendants et descendants et entre époux s'insère dans le cadre de la protection de la famille qui fait partie des objectifs consacrés par le préambule de la Constitution ;

Considérant que l'article 16 de la Constitution dispose que le paiement de l'impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l'équité, constituent un devoir pour chaque personne ;

Considérant que le fait d'accorder les facilités en question n'affecte pas le principe de l'obligation de payer les impôts sur la base de l'équité, tant que le législateur détermine, avec précision, la qualité des bénéficiaires desdites facilités à savoir les ascendants, les descendants et les époux, ce qui est, d'ailleurs, en accord avec l'objet de la loi et ses objectifs quant à la protection de la famille;

Considérant que l'article 5 du projet soumis modifie, d'autre part, l'article 20 du code des droits d'enregistrement et de timbre, en exonérant les donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit proportionnel, au moment de l'enregistrement de contrats de mutation de propriété qui ne font pas mention de la justification du paiement des droits d'enregistrement relatifs à la mutation précédente;

Considérant que la mesure en question se rattache directement aux facilités accordées et s'inscrit, par conséquent, dans le cadre de la réalisation des buts prévus par le projet sans que cela entraîne, tel qu'il ressort des dispositions soumises, l'affranchissement des mutations précédentes des droits d'enregistrement que les dispositions de l'article 5 du projet n'altèrent pas, par conséquent, le principe de l'obligation du paiement de l'impôt sur la base de l'équité;

Considérant qu'au regard de l'ensemble de ces motifs, les dispositions soumises ne sont pas contraires à la Constitutions et sont compatibles avec celle-ci;

III- Emet l'avis suivant :

Le projet de loi relatif à l'exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d'enregistrement proportionnel ne soulève aucune inconstitutionnalité.

Le mercredi 21 juin 2006

Journal Officiel de la République Tunisienne - 3 novembre 2006; Page 3874.

Note:

3 remarques que je mentionne rapidement:

1- il est désormais clairement établit dans la ligne directrice du CC que le préambule de la constitution fait partie intégrante des règles constitutionnelles.

2- La protection de la famille, est un principe hissé à un rang constitutionnel.

3- Le principe de l'obligation de payer les impôts sur la base de l'équité n'est pas altéré par les exonérations faites par le législateur tant qu'il détermine, avec précision, la qualité des bénéficiaires desdites facilités.

mercredi 15 août 2007

La Procédure civile

Avis n° 24-2006 du Conseil constitutionnel relatif au projet de loi portant amendement de certains articles du Code de procédure pénale

Vu la Constitution et notamment son chapitre IV et ses articles 34 et 72 ,

I- Sur la saisine du Conseil:

Considérant que le projet de loi examiné vise à abroger les dispositions des premier, cinquième et sixième paragraphes de l'article 221 du Code de procédure pénale et à les remplacer par de nouvelles dispositions ;

Considérant que les dispositions modifiant le Code de procédure pénale ont trait à la procédure devant les différents ordres de juridictions ;

Considérant que le projet soumis s'insère, eu égard à son objet, dans le cadre de la saisine obligatoire;

II- Sur le fond :

Considérant que le projet examiné prévoit la révision de la composition des chambres criminelles statuant en premier ressort en matière de crime et qui font partie de chaque tribunal de première instance sis au siège d'une cour d'appel et ce en stipulant que lesdites chambres se composent de quatre magistrats de deuxième grade et qu'elles sont présidées par un magistrat de troisième grade ayant la fonction de président de chambre à la cour d'appel, que le projet en question prévoit , également , la modification de la composition des chambres criminelles d'appel, en précisant qu'elles sont présidées par un magistrat de troisième grade ayant la fonction de président de chambre à la cour de cassation et qu'elles comprennent quatre autres magistrats, deux de troisième grade et les deux autres de deuxième grade;

Considérant que le projet contient, en outre, des dispositions supplétives concernant le remplacement, en cas d'empêchement, du président par l'un des présidents de chambre à la cour d'appel, des deux magistrats de troisième grade par deux magistrats de deuxième grade et des deux magistrats de deuxième grade par d'autres magistrats ;

Considérant que la composition des juridictions est étroitement liée à la procédure devant celles-ci ;

Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, sont pris sous forme de lois les textes relatifs à la procédure devant les différents ordres de juridictions.

Considérant qu'il revient au législateur, en application de l'article 34 de la Constitution et dans le respect des règles constitutionnelles afférentes au pouvoir judiciaire, de déterminer la procédure suivie devant les différents ordres de juridictions, dont les dispositions relatives à leur composition ;

Considérant que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution et sont compatibles avec celle-ci.

III- Emet l'avis suivant:

Le projet de loi modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale ne soulève aucune inconstitutionnalité

Le mercredi 03 mardi 2006

Journal Officiel de la République Tunisienne - 13 juin 2006; Page 1537

 

Note: l'affirmation par le conseil d'un principe et l'énonce d'une règle un peu flou.

Le principe, la composition des juridictions est étroitement liée à la procédure devant celles-ci. C'est désormais un principe à connotation constitutionnelle.

La règle, c'est qu'il revient au législateur, en application de l'article 34 de la Constitution et dans le respect des règles constitutionnelles afférentes au pouvoir judiciaire, de déterminer la procédure suivie devant les différents ordres de juridictions. Quelles sont ces règles? L'indépendance?  

samedi 11 août 2007

Renoncer à la présomption de son innoncence

Avis n° 20-2006 du Conseil constitutionnel sur un projet de loi modifiant et complétant le code de la route

Vu la Constitution et notamment ses articles 5, 12, 34, 35 et 72 ,

Vu sa décision de proroger le délai de consultation,

I- Sur la saisine du Conseil :

Considérant que le projet de loi soumis vise à modifier et compléter le code de la route promulgué par la loi n°99- 71 du 26 juillet 1999 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution …la saisine du Conseil est obligatoire pour les projets de loi relatifs à la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables ainsi qu'à la procédure devant les différents ordres de juridictions;

Considérant que le projet soumis s'insère, eu égard à son objet, dans le cadre de la saisine obligatoire.

II- Sur le fond:

 

ü     En ce qui concerne te deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 83 et le premier paragraphe (nouveau) de l'article 84 du code de la route contenus dans le projet soumis:

 

Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, sont pris sous forme de lois, les textes relatifs à la détermination des crimes, des délits et des peines qui leur sont applicables, ainsi que des contraventions pénales sanctionnées par une peine privative de liberté.

Considérant que les articles 83 et 84 du code de la route prévoient des amendes pour les contraventions et ne contiennent pas des peines privatives de liberté,

Considérant qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 35 de la Constitution, « les matières, autres que celles qui sont du domaine de la loi, relèvent du pouvoir réglementaire général».

Considérant que les contraventions visées par les articles en question font partie, par conséquent, du domaine du pouvoir réglementaire général;

Considérant qu'il ressort, également, du premier paragraphe de l'article 35 de la Constitution que les textes ayant la forme de loi et relatifs aux matières qui ne sont pas du domaine de la loi peuvent être modifiés par décret sur avis du Conseil constitutionnel;

Considérant que la possibilité de modifier les textes ayant la forme de loi par décret sur avis du Conseil constitutionnel, du fait de leur intervention dans des matières revenant au pouvoir réglementaire général, constitue une habilitation non exclusive de leur modification par une loi, tant que les dispositions qu'il est projeté de modifier ont été prises sous forme de 1oi , cette procédure ne faisant pas obstacle, du reste , à ce que lesdits textes soient, eu égard ci leur nature réglementaire, déclassés par décret sur avis du Conseil constitutionnel;

Considérant que les deux paragraphes précités des articles 83 et 84 sont, par conséquent, et dans la limite de ce qui a été exposé, compatibles avec la Constitution,

 

ü     En ce qui concerne le deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 83 et le deuxième paragraphe (nouveau) de f 'article 101 du code de la route et les articles 111 (nouveau) et 112 (nouveau) dudit code contenus dans le projet soumis:

Considérant qu'il ressort du projet du deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 101 du code de la route que l'agent habilité à constater les contraventions ordinaires prévues par l'article 83 du code de la route et ses textes d'application, dresse un procès -verbal indiquant que le contrevenant a été informé qu' en cas de paiement définitif de l'amende auprès d'une recette des finances, le procès-verbal ne sera pas transmis au juge cantonal.

Considérant que le projet de l'article 111 (nouveau) du code de la route prévoit qu' en cas de refus du contrevenant de payer le montant de l'amende à titre de recouvrement définitif, un délai de sept jours à compter de la date de la contravention lui est accordé pour présenter ce qui atteste de la consignation du montant de l'amende auprès d'une recette des finances ;

Considérant qu'il ressort du projet de rartic1e 112 (nouveau) du code de la route que si le contrevenant ne procède pas à ladite consignation dans le délai indiqué , il sera considéré comme ayant renoncé à son droit de transmission du procès-verbal au juge cantonal et le règlement à titre définitif de l'amende devient exigible ;

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces dispositions que le recouvrement des amendes afférentes aux contraventions ordinaires peut se faire , de façon définitive, auprès d'une recette des finances, ce qui aboutit , dans ce cas, à infliger au contrevenant une sanction pénale et à l'exécuter définitivement sans le juger dans un procès lui offrant les garanties indispensables à sa défense;

Considérant que le deuxième paragraphe de l'article 12 de la Constitution dispose que « tout prévenu est présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa culpabilité à la suite d'une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense ».

Considérant qu'il découle de la présomption d'innocence consacrée par la Constitution, que le prévenu est dispensé de la charge de la preuve, cette charge incombant à l'autorité de poursuite.

Considérant que l'article 5 de la Constitution prévoit la garantie de l'inviolabilité de la personne humaine;

Considérant que le respect de la présomption d'Innocence est à même d'assumer l'une des garanties de l'inviolabilité de la personne humaine;

Considérant que, d'une part, il ressort de l'article 83 (deuxième paragraphe nouveau) prévu dans le projet soumis, que les contraventions ordinaires font partie de la catégorie des infractions sanctionnées par des amendes simples et non de celle des infractions sanctionnées par des peines privatives de liberté ou déshonorantes ou qui peuvent être inscrites au casier judiciaire du condamné;

Considérant que, d'autre part, le fait d'infliger ces peines pécuniaires aux contrevenants et de les recouvrer définitivement ne porte pas atteinte à l'inviolabilité de la personne humaine, tant que l'auteur présumé de ces contraventions simples renonce, de son, propre gré, à la présomption de son innocence ainsi qu'à son droit à être jugé, sous réserve de mentionner dans le procès-verbal que le contrevenant a été informé des droits auxquels il renonce;

Considérant que le deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 101 contenu dans le projet soumis, prévoit que le procès-verbal dressé par l'agent qui constate la contravention ordinaire en question porte la mention que le contrevenant a été informé qu'en cas de paiement définitif de l'amende, ledit procès-verbal ne sera pas transmis au juge cantonal compétent ;

Considérant qu'Il ressort de ces dispositions que lorsque le contrevenant, dans ce cas, procède au paiement définitif de l'amende, il le fait en pleine connaissance de ses droits et ne renonce à les exercer ni par contrainte, ni par ignorance ;

Considérant que les prescriptions du paragraphe 2 de l'article 12 de la Constitution ne font pas obstacle à ce que l'autorité administrative procède , par ailleurs, au recouvrement des amendes exigées à titre de consignation, tant que le projet de l'article 112 (nouveau) du code de la route offre , dans son premier paragraphe, la possibilité au contrevenant de se faire entendre par la justice en vue d'examiner l'infraction , contrôler la procédure de sa constatation et statuer sur le chef d'accusation retenu contre ledit contrevenant, dans le cadre d'un procès lui offrant les garanties indispensables à sa défense;

Considérant que le recouvrement définitif des amendes ou la consignation de leur montant ne sont pas, eu égard aux garanties offertes au contrevenant dans les deux cas, contraires aux prescriptions du paragraphe 2 de l'article 12 de la Constitution;

Journal Officiel de la République Tunisienne - 1er août 2006; Page 2004.

Note:

C'est un avis important à double point de vue.

Sur le plan des principes, d'abord, vu que l'avis en question rappel des principes constitutionnels importants.

Sur le plan de la technique législative, ensuite, vu que l'avis ne met pas fin à un sujet équivoque et épineux du domaine respectif de la loi et du règlement ou décret.

Je commence par le 2ème point.

ü     Le domaine respectif Loi - Décret

Le CC commence à mettre les choses au clair. Qui est du domaine de la loi? Le Conseil répond sans équivoque: sont du domaine législatif, les contraventions pénales sanctionnées par une peine privative de liberté. Des articles du projet ne prévoyant pas de telles peines, les contraventions visées par ces articles font partie du domaine du pouvoir réglementaire général. Le Conseil se fonde sur le premier paragraphe de l'article 35 de la Constitution qui dispose que « les matières, autres que celles qui sont du domaine de la loi, relèvent du pouvoir réglementaire général».

Et pourtant, le Conseil ne finit pas le chemin tracé. Il annonce que la possibilité de modifier les textes ayant la forme de loi par décret sur avis du Conseil constitutionnel constitue une habilitation non exclusive de leur modification par une loi.

Le conseil nous dit donc que ces articles sont du domaine réglementaire, mais on peut tout de même les inclure dans une loi. Comment? La loi a une compétence générale pour les textes qui avaient la forme d'une loi.

Les députés se posaient souvent des questions sur les paramètres de démarcation entre les 2 domaines mais ils se heurtaient toujours à ce "caractère obligatoire" de l'avis du CC.

Dommage que le Conseil n'a pas mis fin à cette indécision sur la question. On a modifié les articles 34 et 35 de la constitution pour justement bien répartir les compétences législatives et réglementaires et œuvrer à limiter la prolifération des lois. Mais au vu de cet avis, il va falloir attendre.

ü     Renoncer à la présomption de son innocence et à son droit d'être jugé

Oui. C'est possible. Le conseil nous le dit.

Après avoir clairement expliqué que le recouvrement des amendes afférentes aux contraventions ordinaires de façon définitive auprès d'une recette des finances aboutit à infliger au contrevenant une sanction pénale et à l'exécuter définitivement sans le juger dans un procès lui offrant les garanties indispensables à sa défense, et après avoir rappelé ce que signifie la présomption d'innocence telle qu'elle découle de l'article 12 de la Constitution et la garantie de l'inviolabilité de la personne humaine résultant de son article 5 et après avoir affirmé que le respect de la présomption d'Innocence est à même d'assumer l'une des garanties de l'inviolabilité de la personne humaine, le conseil estime "que…le fait d'infliger des peines pécuniaires aux contrevenants et de les recouvrer définitivement ne porte pas atteinte à l'inviolabilité de la personne humaine, tant que l'auteur présumé de ces contraventions simples renonce, de son propre gré, à la présomption de son innocence ainsi qu'à son droit à être jugé, sous réserve de mentionner dans le procès-verbal que le contrevenant a été informé des droits auxquels il renonce"

Comment? Pourquoi?

C'est simple.

Le conseil explique que ces contraventions ordinaires font partie de la catégorie des infractions sanctionnées par des amendes simples et non de celle des infractions sanctionnées par des peines privatives de liberté ou déshonorantes ou qui peuvent être inscrites au casier judiciaire du condamné.

Pour cette catégorie, et si le prévenu a été informé et a expréssement accepté, l'abandon de ce droits est possible.