Le Conseil Constitutionnel a rendu 2 avis à propos d'un projet de loi complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale.
Les 2 avis ont merveilleusement mis l'accent sur la nature de l'inculpation, le suspect, la différence entre le suspect auditionné par le juge d'instruction et le suspect auditionné par l'officier de police judiciaire en vertu d'une commission rogatoire, la portée de l'audition du suspect et sa comparaison avec l'interrogatoire.
1) A vis n° 14-2006 du Conseil constitutionnel concernant un projet de loi complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale
Vu la lettre du Président de la République en date du 16 février 2006, parvenue au Conseil constitutionnel le 18 février 2006 et lui soumettant un projet de loi complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale,
Vu la Constitution et notamment son préambule et ses articles 6, 12 et 72,
Sur la saisine du Conseil:
Considérant que le projet de loi examiné a pour objet de compléter certaines dispositions du Code de procédure pénale, en ajoutant deux paragraphes à l'article 57 de ce code;
Considérant qu'aux tenues de l'article 72 de la Constitution, le Conseil constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la République quant à leur conformité ou leur compatibilité avec la Constitution et la saisine du Conseil est obligatoire pour les projets de loi relatifs à la procédure devant les différents ordres de juridictions;
Considérant que le projet de loi soumis a trait au régime de la procédure de la commission rogatoire lors de l'instruction judiciaire en matière pénale, que les dispositions dudit projet concernent, de ce fait, la procédure devant les différents ordres de juridictions ;
Considérant que le projet soumis, s'insère, eu égard à son objet, dans le cadre de la saisine obligatoire.
Sur le fond:
En ce qui concerne la présence de l'avocat lorsque le suspect est interrogé suite à une commission rogatoire:
Considérant que le deuxième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57 du Code de procédure pénale prévoit que si l'exécution de la commission rogatoire nécessite l'audition du suspect, celui-ci a le droit d'être informé de la possibilité de se faire assister par un avocat de son choix, et d'en faire mention au procès-verbal;
Considérant qu'aux termes du deuxième paragraphe de l'article 12 de la Constitution «tout prévenu est présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa culpabilité à la suite d'une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense» ;
Considérant que l'inculpation relève de la compétence du juge d'instruction requis par l'autorité habilitée à mettre en mouvement l'action publique à l'effet de procéder à des investigations sur des faits déterminés, du fait même que l'inculpation constitue un acte juridictionnel qui change la situation d'une personne en lui donnant le statut d'inculpé qui fait naître, à son égard, des droits et des obligations ainsi que la possibilité de le soumettre à une détention préventive ou de prendre, à son encontre, des mesures conservatoires; qu'il s'ensuit que cette procédure, eu égard à sa nature, fait pleinement partie des actes juridictionnels et qu'elle ne peut être effectuée que par les juges conformément à la règle de la séparation des pouvoirs prévue par le préambule de la Constitution;
Considérant qu'au sens du deuxième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57, le suspect est la personne qui a été inculpée par le juge lors de sa première comparution conformément aux dispositions de l'article 69 du Code de procédure pénale; que l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête ne peut pas, par conséquent procéder à l'inculpation;
Considérant que, sur la base de ce qui précède, le fait d'étendre la garantie consistant dans la présence de l'avocat lorsque le suspect est interrogé par un officier de police judiciaire, en exécution d'une commission rogatoire, est à même de renforcer le principe des droits de la défense prévu par l'article 12 de la Constitution, que le deuxième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57 du Code de procédure pénale est, par conséquent, compatible avec la Constitution.
En ce qui concerne la communication des documents objet de l'enquête à l'avocat:
Considérant qu'aux termes du troisième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57 du Code de procédure pénale, «Si le suspect désigne un avocat, celui-ci est informé immédiatement par l'officier de police judiciaire de la date d'audition, mention en est faite au procès verbal. Dans ce cas, il n'est procédé à l'audition qu'en présence de l'avocat concerné, à moins que le suspect ne renonce, expressément, à son droit de se faire assister par un avocat ou que celui-ci ne se présente pas à la date prévue, mention en est faite au procès-verbal» ;
Considérant que la Constitution consacre, dans son article 6, le principe d'égalité en droits, en devoirs et devant la loi;
Considérant que les dispositions soumises, alors même qu'elles entourent le droit du suspect à se faire assister par un avocat de son choix lorsqu'il est interrogé par un officier de police judiciaire en vertu d'une commission rogatoire, d'un ensemble de procédures de nature à garantir l'efficacité de ce droit et son effectivité, elles ne permettent pas à l'avocat de prendre connaissance des documents objet de l'enquête, alors même que cette procédure vise à permettre au suspect de faire face aux questions de l'enquêteur en ayant connaissance des résultats de l'enquête le concernant et de se préparer à la riposte et au débat;
Considérant que, s'il est loisible au législateur compétent pour déterminer les règles de procédure devant les différents ordres de juridictions conformément à l'article 34 de la Constitution, d'édicter des règles procédurales différentes en fonction des faits et cas, cela ne doit pas déboucher sur un état d'inégalité entre le suspect auditionné par le juge d'instruction et le suspect auditionné par l'officier de police judiciaire en vertu d'une commission rogatoire et tant que le législateur a consacré le principe du droit de la défense au stade de l'instruction ;.
Considérant que, dès lors, l'absence dans le troisième paragraphe précité de toute mention d'une quelconque modalité permettant à l'avocat de prendre connaissance des documents objet de l'enquête rend ledit paragraphe incompatible avec le principe d'égalité prévu par l'article 6 de la Constitution ;
Emet l'avis suivant :
Le projet de loi complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale ne soulève, dans la limite de son interprétation du deuxième paragraphe de l'article 57 dudit code, aucune inconstitutionnalité, à l'exception du troisième paragraphe du même article qui est incompatible avec les dispositions de r article 6 de la Constitution.
Le Lundi 3 avril 2006
Journal Officiel de la République Tunisienne - 27 mars 2007 Page 988
2) Avis n°38 -2006 du Conseil constitutionnel sur un projet de loi complétant certaines dispositions du code de procédure pénale
Vu la lettre du Président de la République en date du 13 juillet 2006 parvenue au Conseil constitutionnel le 15 juillet 2006 et lui soumettant un projet de loi complétant certaines dispositions du code de procédure pénale, en déclarant l'urgence,
Vu la Constitution et notamment son préambule et ses articles 6,12 et 73,
Vu son avis n014-2006 émis en date du 3 avril 2006 et par lequel il a soulevé une inconstitutionnalité,
Sur la saisine du Conseil:
Considérant que le Conseil a déjà été saisi du projet en question par lettre du Président de la République en date du 18 février 2006 et a émis, à son sujet , un avis le 3 avril 2006 , par lequel il a soulevé une inconstitutionnalité concernant le troisième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57 du code de procédure pénale et qui est incompatible avec l'article 6 de la Constitution;
Sur le fond:
Considérant que l'inconstitutionnalité soulevée réside dans l'absence dans le projet de toute modalité permettant à l'avocat de prendre connaissance des pièces objet de l'enquête , alors que cette possibilité est prévue s'agissant de l'audition du suspect par le juge d'instruction, ce qui rend ledit projet incompatible avec le principe d'égalité prévu par l'article 6 de la Constitution;
Considérant que le projet soumis contient, dans sa nouvelle version, un article unique ajoutant deux paragraphes à l'article 57 du code de procédure pénale qui seront insérés après son premier paragraphe;
Considérant que le projet du deuxième paragraphe prévoit ce qui suit:
« Si l'exécution de la commission rogatoire nécessite l'audition du suspect , les officiers de police judiciaire doivent l'informer qu'il est de son droit de se faire assister par l'avocat de son choix, mention en est faite au procès -verbal .
Si le suspect désigne un avocat , celui-ci est informé immédiatement par l'officier de police judiciaire de la date d'audition de son mandant, mention en est faite au procès-verbal .Dans ce cas, il n'est procédé à l'audition qu'en présence de l'avocat habilité à prendre connaissance au préalable des actes de la procédure à moins que le suspect ne renonce expressément à son droit de se faire assister par un avocat ou que celui-ci ne se présente pas à la date prévue, mention en est faite au procès-verbal. »
Considérant que le projet du troisième paragraphe prévoit ce qui suit:
« L'audition ainsi faite ne dispense pas le juge d'instruction, le cas échéant, de procéder aux formalités requises par l'article 69 du présent code, s'il n'y avait pas procédé auparavant. »
Considérant qu'il ressort du deuxième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57 du code de procédure pénale qu'il prévoit au profit du suspect, auditionné par l'un des officiers de la police judiciaire en exécution d'une commission rogatoire, des garanties équivalentes, dans leur portée, à celles prévues aux articles 69 et 72 du code en question au profit du suspect lors de son interrogatoire par le juge d'instruction, dont le droit de se faire assister lors de son audition par un avocat qui peut avoir connaissance du cours de l'enquête effectuée avant ladite audition dans le cadre d'une commission rogatoire;
Considérant que, dans la nouvelle version, l'expression « audition du suspect » signifie l'ensemble des questions posées par l'officier de police judiciaire , suite à une commission rogatoire, au sujet des faits objet de l'enquête et des réponses du suspect; que« l'audition» est, de la sorte, semblable à l'interrogatoire prévu à l'article 72 du code de procédure pénale;
Considérant que, néanmoins, la procédure de l'audition diffère de l'interrogatoire qui n'est fait que par le juge d'instruction ou son délégué et qui ne vise que la personne déjà inculpée, alors que l'expression audition du suspect , telle que prévue dans le projet soumis dans sa nouvelle version, s'étend à tout suspect, qu'il soit déjà inculpé ou non par le juge d'instruction, cela est d'autant plus vrai que le troisième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter à l'article 57 du code de procédure pénale dispose que l'audition ainsi faite ne dispense pas le juge d'instruction , le cas échéant , de procéder aux formalités requises par l'article 69 de ce code , s'il n'y avait pas procédé auparavant;
Considérant que le projet soumis élargit , ainsi, le domaine des droits de la défense, en permettant au suspect , au moment de son audition par l'officier de police judiciaire en vertu d'une commission rogatoire, de choisir un avocat pour l'assister, et en enjoignant audit officier de police judiciaire de l'informer de ce droit; que le projet est, de ce point de vue, compatible, d'une part, avec l'article 12 de la Constitution consacrant le droit de la défense et , d'autre part, avec son article 6 consacrant le principe d'égalité;
Considérant qu'il ressort du projet dans sa nouvelle version que le procédé de «l'audition», avec les garanties qui l'entourent, est distinct de la procédure de l'inculpation et ne peut la suppléer, et c'est dans ce sens que le troisième paragraphe qu'il est projeté d'ajouter l'article 57 du code de procédure pénale prévoit que l'audition ainsi faite ne dispense pas le juge d'instruction de procéder aux formalités requises par l'article 69 dudit code, s'il n'y avait pas procédé auparavant;
Considérant que le projet lève , de la sorte, l'ambiguïté contenue dans la première version soumise, écartant ainsi tout effet de nature à porter atteinte aux droits de la défense consacré par l'article 12 de la Constitution et à la règle de la séparation des pouvoirs prévue par son préambule consacrant , ainsi , le caractère strictement juridictionnel de l'inculpation;
Considérant que la nouvelle version du projet soumis est, ainsi, compatible avec la Constitution et notamment avec son préambule et ses articles 6 et 12 ; que l'inconstitutionnalité soulevée dans l'avis précédent du Conseil sur le projet soumis à été écartée;
Emet l'avis suivant:
Le projet de loi complétant certaines dispositions du code de procédure pénale ne soulève aucune inconstitutionnalité.
Le mercredi 26 juillet 2006
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire