Avis n° 20-2006 du Conseil constitutionnel sur un projet de loi modifiant et complétant le code de la route
Vu la Constitution et notamment ses articles 5, 12, 34, 35 et 72 ,
Vu sa décision de proroger le délai de consultation,
I- Sur la saisine du Conseil :
Considérant que le projet de loi soumis vise à modifier et compléter le code de la route promulgué par la loi n°99- 71 du 26 juillet 1999 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution …la saisine du Conseil est obligatoire pour les projets de loi relatifs à la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables ainsi qu'à la procédure devant les différents ordres de juridictions;
Considérant que le projet soumis s'insère, eu égard à son objet, dans le cadre de la saisine obligatoire.
II- Sur le fond:
ü En ce qui concerne te deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 83 et le premier paragraphe (nouveau) de l'article 84 du code de la route contenus dans le projet soumis:
Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, sont pris sous forme de lois, les textes relatifs à la détermination des crimes, des délits et des peines qui leur sont applicables, ainsi que des contraventions pénales sanctionnées par une peine privative de liberté.
Considérant que les articles 83 et 84 du code de la route prévoient des amendes pour les contraventions et ne contiennent pas des peines privatives de liberté,
Considérant qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 35 de la Constitution, « les matières, autres que celles qui sont du domaine de la loi, relèvent du pouvoir réglementaire général».
Considérant que les contraventions visées par les articles en question font partie, par conséquent, du domaine du pouvoir réglementaire général;
Considérant qu'il ressort, également, du premier paragraphe de l'article 35 de la Constitution que les textes ayant la forme de loi et relatifs aux matières qui ne sont pas du domaine de la loi peuvent être modifiés par décret sur avis du Conseil constitutionnel;
Considérant que la possibilité de modifier les textes ayant la forme de loi par décret sur avis du Conseil constitutionnel, du fait de leur intervention dans des matières revenant au pouvoir réglementaire général, constitue une habilitation non exclusive de leur modification par une loi, tant que les dispositions qu'il est projeté de modifier ont été prises sous forme de 1oi , cette procédure ne faisant pas obstacle, du reste , à ce que lesdits textes soient, eu égard ci leur nature réglementaire, déclassés par décret sur avis du Conseil constitutionnel;
Considérant que les deux paragraphes précités des articles 83 et 84 sont, par conséquent, et dans la limite de ce qui a été exposé, compatibles avec la Constitution,
ü En ce qui concerne le deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 83 et le deuxième paragraphe (nouveau) de f 'article 101 du code de la route et les articles 111 (nouveau) et 112 (nouveau) dudit code contenus dans le projet soumis:
Considérant qu'il ressort du projet du deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 101 du code de la route que l'agent habilité à constater les contraventions ordinaires prévues par l'article 83 du code de la route et ses textes d'application, dresse un procès -verbal indiquant que le contrevenant a été informé qu' en cas de paiement définitif de l'amende auprès d'une recette des finances, le procès-verbal ne sera pas transmis au juge cantonal.
Considérant que le projet de l'article 111 (nouveau) du code de la route prévoit qu' en cas de refus du contrevenant de payer le montant de l'amende à titre de recouvrement définitif, un délai de sept jours à compter de la date de la contravention lui est accordé pour présenter ce qui atteste de la consignation du montant de l'amende auprès d'une recette des finances ;
Considérant qu'il ressort du projet de rartic1e 112 (nouveau) du code de la route que si le contrevenant ne procède pas à ladite consignation dans le délai indiqué , il sera considéré comme ayant renoncé à son droit de transmission du procès-verbal au juge cantonal et le règlement à titre définitif de l'amende devient exigible ;
Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces dispositions que le recouvrement des amendes afférentes aux contraventions ordinaires peut se faire , de façon définitive, auprès d'une recette des finances, ce qui aboutit , dans ce cas, à infliger au contrevenant une sanction pénale et à l'exécuter définitivement sans le juger dans un procès lui offrant les garanties indispensables à sa défense;
Considérant que le deuxième paragraphe de l'article 12 de la Constitution dispose que « tout prévenu est présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa culpabilité à la suite d'une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense ».
Considérant qu'il découle de la présomption d'innocence consacrée par la Constitution, que le prévenu est dispensé de la charge de la preuve, cette charge incombant à l'autorité de poursuite.
Considérant que l'article 5 de la Constitution prévoit la garantie de l'inviolabilité de la personne humaine;
Considérant que le respect de la présomption d'Innocence est à même d'assumer l'une des garanties de l'inviolabilité de la personne humaine;
Considérant que, d'une part, il ressort de l'article 83 (deuxième paragraphe nouveau) prévu dans le projet soumis, que les contraventions ordinaires font partie de la catégorie des infractions sanctionnées par des amendes simples et non de celle des infractions sanctionnées par des peines privatives de liberté ou déshonorantes ou qui peuvent être inscrites au casier judiciaire du condamné;
Considérant que, d'autre part, le fait d'infliger ces peines pécuniaires aux contrevenants et de les recouvrer définitivement ne porte pas atteinte à l'inviolabilité de la personne humaine, tant que l'auteur présumé de ces contraventions simples renonce, de son, propre gré, à la présomption de son innocence ainsi qu'à son droit à être jugé, sous réserve de mentionner dans le procès-verbal que le contrevenant a été informé des droits auxquels il renonce;
Considérant que le deuxième paragraphe (nouveau) de l'article 101 contenu dans le projet soumis, prévoit que le procès-verbal dressé par l'agent qui constate la contravention ordinaire en question porte la mention que le contrevenant a été informé qu'en cas de paiement définitif de l'amende, ledit procès-verbal ne sera pas transmis au juge cantonal compétent ;
Considérant qu'Il ressort de ces dispositions que lorsque le contrevenant, dans ce cas, procède au paiement définitif de l'amende, il le fait en pleine connaissance de ses droits et ne renonce à les exercer ni par contrainte, ni par ignorance ;
Considérant que les prescriptions du paragraphe 2 de l'article 12 de la Constitution ne font pas obstacle à ce que l'autorité administrative procède , par ailleurs, au recouvrement des amendes exigées à titre de consignation, tant que le projet de l'article 112 (nouveau) du code de la route offre , dans son premier paragraphe, la possibilité au contrevenant de se faire entendre par la justice en vue d'examiner l'infraction , contrôler la procédure de sa constatation et statuer sur le chef d'accusation retenu contre ledit contrevenant, dans le cadre d'un procès lui offrant les garanties indispensables à sa défense;
Considérant que le recouvrement définitif des amendes ou la consignation de leur montant ne sont pas, eu égard aux garanties offertes au contrevenant dans les deux cas, contraires aux prescriptions du paragraphe 2 de l'article 12 de la Constitution;
Journal Officiel de la République Tunisienne - 1er août 2006; Page 2004.
Note:
C'est un avis important à double point de vue.
Sur le plan des principes, d'abord, vu que l'avis en question rappel des principes constitutionnels importants.
Sur le plan de la technique législative, ensuite, vu que l'avis ne met pas fin à un sujet équivoque et épineux du domaine respectif de la loi et du règlement ou décret.
Je commence par le 2ème point.
ü Le domaine respectif Loi - Décret
Le CC commence à mettre les choses au clair. Qui est du domaine de la loi? Le Conseil répond sans équivoque: sont du domaine législatif, les contraventions pénales sanctionnées par une peine privative de liberté. Des articles du projet ne prévoyant pas de telles peines, les contraventions visées par ces articles font partie du domaine du pouvoir réglementaire général. Le Conseil se fonde sur le premier paragraphe de l'article 35 de la Constitution qui dispose que « les matières, autres que celles qui sont du domaine de la loi, relèvent du pouvoir réglementaire général».
Et pourtant, le Conseil ne finit pas le chemin tracé. Il annonce que la possibilité de modifier les textes ayant la forme de loi par décret sur avis du Conseil constitutionnel constitue une habilitation non exclusive de leur modification par une loi.
Le conseil nous dit donc que ces articles sont du domaine réglementaire, mais on peut tout de même les inclure dans une loi. Comment? La loi a une compétence générale pour les textes qui avaient la forme d'une loi.
Les députés se posaient souvent des questions sur les paramètres de démarcation entre les 2 domaines mais ils se heurtaient toujours à ce "caractère obligatoire" de l'avis du CC.
Dommage que le Conseil n'a pas mis fin à cette indécision sur la question. On a modifié les articles 34 et 35 de la constitution pour justement bien répartir les compétences législatives et réglementaires et œuvrer à limiter la prolifération des lois. Mais au vu de cet avis, il va falloir attendre.
ü Renoncer à la présomption de son innocence et à son droit d'être jugé
Oui. C'est possible. Le conseil nous le dit.
Après avoir clairement expliqué que le recouvrement des amendes afférentes aux contraventions ordinaires de façon définitive auprès d'une recette des finances aboutit à infliger au contrevenant une sanction pénale et à l'exécuter définitivement sans le juger dans un procès lui offrant les garanties indispensables à sa défense, et après avoir rappelé ce que signifie la présomption d'innocence telle qu'elle découle de l'article 12 de la Constitution et la garantie de l'inviolabilité de la personne humaine résultant de son article 5 et après avoir affirmé que le respect de la présomption d'Innocence est à même d'assumer l'une des garanties de l'inviolabilité de la personne humaine, le conseil estime "que…le fait d'infliger des peines pécuniaires aux contrevenants et de les recouvrer définitivement ne porte pas atteinte à l'inviolabilité de la personne humaine, tant que l'auteur présumé de ces contraventions simples renonce, de son propre gré, à la présomption de son innocence ainsi qu'à son droit à être jugé, sous réserve de mentionner dans le procès-verbal que le contrevenant a été informé des droits auxquels il renonce"
Comment? Pourquoi?
C'est simple.
Le conseil explique que ces contraventions ordinaires font partie de la catégorie des infractions sanctionnées par des amendes simples et non de celle des infractions sanctionnées par des peines privatives de liberté ou déshonorantes ou qui peuvent être inscrites au casier judiciaire du condamné.
Pour cette catégorie, et si le prévenu a été informé et a expréssement accepté, l'abandon de ce droits est possible.
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