samedi 18 août 2007

Le domaine des Décrets-lois et le Principe constitutionnel du Pluralisme

Avis n° 73-2005 du Conseil constitutionnel concernant un projet de loi organique portant approbation du décret.loi n° 2005.1 du 10 août 2005 relatif à la composition des conseils régionaux

 

Vu la Constitution et notamment ses articles 28, 31, 71 et 72,

 

I- Sur la saisine du Conseil:

 

Considérant que le projet de loi organique soumis a pour objet l'approbation du décret-loi n° 2005-1 du 10 aout 2005;

Considérant que le décret - loi qu'il est projeté de soumettre à l'approbation comprend des dispositions relatives à la composition des conseils régionaux;

Considérant que l'article 71 de la Constitution prévoit, notamment, que les conseils régionaux gèrent les affaires locales dans les conditions prévues par la loi;

Considérant qu'il ressort de l'article 28 de la Constitution que la loi prévue à son article 71 revêt la forme de loi organique;

Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution, le Conseil constitutionnel examine les projets de loi qui lui sont soumis par le Président de la République quant à leur conformité ou leur compatibilité avec la constitution et la saisine du Conseil est obligatoire pour les projets de loi organiques;

Considérant que le projet de loi organique, eu égard aux dispositions du décret.loi qu'i1 est projeté de soumettre à l'approbation, s'insère dans le cadre de la saisine obligatoire;

II- Sur le fond:

ü     En ce qui concerne le domaine du décret-loi et son approbation:

Considérant qu'aux termes de l'article 31 de la Constitution, "le Président de la République peut, pendant les vacances de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers, prendre des décrets-lois qui sont soumis, selon le cas, à approbation de la Chambre des députés ou des deux Chambres, au cours de la session ordinaire qui suit les vacances";

Considérant que cet article est prévu dans une formulation générale et autorise le Président de la République à prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi, sans distinguer à ce sujet, entre les lois ordinaires et les lois organiques.

Considérant que l'article 31 précité ne prévoit pas de procédure spéciale pour l'approbation des décrets-lois;

Considérant que la Chambre des députés et la Chambre des conseillers exercent pleinement leurs attributions lors de l'examen du projet de loi d'approbation conformément aux dispositions constitutionnelles, tant pour l'approbation, son refus ou le droit d'amendement, que pour la procédure d'approbation.

Considérant que les dispositions du décret-loi qu'il est projeté de soumettre à l'approbation, s'insèrent dans le champ d'application de l'article 71 de la Constitution que la loi l'approuvant a le caractère de loi organique selon les dispositions de l'article 28 de la Constitution.

Considérant que le fait de soumettre le projet de loi sous la forme de loi organique avec ce que cela implique comme procédure spéciale pour son examen et son approbation, est conforme à la Constitution;

 

ü     En ce qui concerne les dispositions prévues aux articles premier et deuxième du décret-loi :

Considérant que le décret -loi comprend des dispositions relatives à la répartition des sièges dans les conseils régionaux existants à la date de sa parution, dans le but d'en assurer vingt pour cent des membres ayant le droit de vote au profit de membres n'appartenant pas à la majorité, de façon à garantir le pluralisme dans ces conseils, tant qu'il ya des conseillers municipaux n'appartenant pas à ladite majorité;

Considérant que la désignation de ces membres se fait parmi des conseillers municipaux et selon des conditions objectives fixées de façon précise au deuxième article du décret-loi;

Considérant qu'il ressort du paragraphe 2 de l'article 5 de la Constitution que le pluralisme constitue un des fondements de la République en tant que base de la construction de l'Etat et de la société, de la consécration des libertés et de la réalisation de la démocratie;

Considérant que les dispositions du décret-loi qu'il est projeté de soumettre à l'approbation visent à concrétiser un principe constitutionnel prévu par l'article 5 de la Constitution.

Considérant que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution et sont compatibles avec celle-ci. Que le projet de loi organique soumis est, de la sorte, conforme à la Constitution;

III- Emet ravis suivant:

Le projet de loi organique portant approbation du décret-loi n° 2005-1 du 10 août 2005 relatif à la composition des conseils régionaux ainsi que le décret-loi objet de l'approbation, ne soulèvent aucune inconstitutionnalité.

 

Le vendredi 21 octobre 2005

Journal Officiel de la République Tunisienne - 13 janvier 2006; Page 100.

Note:

C'est l'un des rares avis du CC à propos des décrets-lois; riche en enseignement, en plus.

D'abord, le CC commence par nous éclairer à propos d'une question importante: le domaine des décrets-lois.

Le CC estime à juste titre que l'article 31 de la constitution est prévu "dans une formulation générale" ce qui "autorise le Président de la République à prendre des décrets-lois dans le domaine de la loi, sans distinguer à ce sujet, entre les lois ordinaires et les lois organiques"....

Question qui va paraitre bête: au vu de l'analyse du CC, on peut dire qu'il a implicitement exclu les lois constitutionnelles au domaine des décrets-lois!, mais par quel raisonnement? Pour quel motif?

Comment différencier une loi ordinaire, de celle organique et de celle constitutionnelle? Le 1er critère à retenir est la procédure suivie pour son adoption.

Si, en suivant le raisonnement du CC formellement, et en supposant que l'article 31 ne fait de distinction ainsi qu'en se plaçant au niveau du contrôle parlementaire post décret-loi, on ne voit pas pour quelle raison le président ne serait pas apte à prendre des décrets-lois dans un domaine de la compétence de la loi constitutionnelle.

Non. le conseil nous le dit, mais implicitement. Le domaine des décrets-lois ne peut s'étendre au domaine de la loi constitutionnelle.

Ensuite, le CC nous fait savoir que "la Chambre des députés et la Chambre des conseillers exercent pleinement leurs attributions lors de l'examen du projet de loi d'approbation conformément aux dispositions constitutionnelles, tant pour l'approbation, son refus ou le droit d'amendement, que pour la procédure d'approbation". Le parlement peut exercer un contrôle à posteriori.

Avant la révision de 2002, le président de la république pouvait prendre les décrets-lois mais en concert avec la commission parlementaire permanente compétente. C'est pour cette raison, à notre avis, que la constitution et le règlement de la chambre des députés prévoyaient que ces commissions travaillaient même au cours des vacances parlementaires.

Avec la révision 2002, cette obligation de prendre l'avis de la commission permanente a été tout simplement écartée sans pour autant dispenser les commissions de travailler au cours des vacances.

A notre avis, le motif de l'éviction de la disposition obligeant le président de la république à se concerter avec la commission permanente compétente avant de prendre un décret-loi se justifie par le fait qu'il serait aberrant de lier le président de la république, élu au suffrage direct par le peuple et donc jouissant d'une légitimité populaire, par une structure faisant partie d'une assemblée parlementaire, même si ses membres sont aussi élus au même titre.

Enfin, le CC hisse le pluralisme au titre d'un principe constitutionnel. Ainsi, "le pluralisme constitue un des fondements de la République en tant que base de la construction de l'Etat et de la société, de la consécration des libertés et de la réalisation de la démocratie…" ce qui en fait "un principe constitutionnel prévu par l'article 5 de la Constitution".

Il faut noter qu'ici, le CC a parlé de fondement de la république et non d'objectif ou but de la constitution. Une différence notable.

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