mercredi 1 août 2007

Les Immunités

Avis n° 08-2006 du Conseil constitutionnel concernant un projet de loi portant approbation d'une convention consulaire entre la République tunisienne et la République du Yemen.

 

Vu la Constitution et notamment son article premier et ses articles 6, 16, 32 et 72,

I- Sur la saisine du Conseil :

Considérant que le deuxième paragraphe de l'article 32 de la Constitution prévoit, notamment, que les traités portant engagement financier de l'Etat ou contenant des dispositions à caractère législatif ne peuvent être ratifiés qu'après leur approbation par la Chambre des députés ;

Considérant qu'il ressort de l'article 72 de la Constitution que la saisine du Conseil constitutionnel est obligatoire pour les projet de loi relatifs à la procédure devant les différents ordres de juridictions et aux principes fondamentaux du régime de la propriété , du travail et de la sécurité sociale ;

Considérant que les dispositions à caractère législatif prévues dans la convention examinée ont trait à la procédure devant les tribunaux et aux principes fondamentaux du régime de la propriété, du travail et de la sécurité sociale ;

Considérant que le projet de loi d'approbation, et notamment la convention qui lui est annexée, s'insère, eu égard à son objet, dans le cadre de la saisine obligatoire ;

II- Sur le fond :

Considérant que le projet de loi soumis a pour objet l'approbation par la Chambre des députés d'une convention consulaire conclue à Tunis le 17 juillet 1992 entre la République tunisienne et la République du Yemen ;

Considérant que la convention consulaire soumise comprend un chapitre premier réservé à des définitions des expressions qui y sont usitées et quatre chapitres concernant, successivement, l'établissement de relations consulaires et leur conduite, les immunités, les privilèges et les fonctions consulaires et des dispositions finales concernant le domaine d'application , le règlement des différends la procédure relative à l'approbation, l'entrée en vigueur et le cas échéant l'extinction de la convention;

Considérant que la convention examinée, prévoit l'application des dispositions de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, pour les questions qui ne sont pas expressément régies dans le cadre des dispositions de la convention soumise ;

Considérant que la République tunisienne a approuvé la convention de Vienne sur les relations consulaires, que le fait d'y renvoyer, pour ce qui n'est pas régi par la convention consulaire soumise, est en accord avec la procédure constitutionnelle prévue pour la mise en application des conventions internationales ;

 

1- De l'immunité du poste consulaire, des locaux consulaires, de leurs dépendances et des résidences du chef du poste consulaire et des fonctionnaires consulaires:

Considérant que le deuxième chapitre de la convention soumise fixe les règles relatives à l'établissement et au fonctionnement d'un poste consulaire sur le territoire de l'Etat de résidence ;

Considérant que le troisième chapitre de la convention prévoit des immunités et des exonérations particulières concernant les locaux consulaires, les résidences aussi bien du chef du poste que des fonctionnaires consulaires ainsi que le mobilier, les bagages et les moyens de transport se rattachant auxdits locaux et résidences ;

Considérant que, dans le cadre de l'exercice de ses relations internationales, l'Etat tunisien, détenteur de la souveraineté , peut, en vertu de traités, accepter d'octroyer des immunités et des exonérations particulières au sujet de certains objets, moyens et locaux consulaires, en rapport avec la nature de l'activité diplomatique ou consulaire ou encore de l'activité dans des organisations internationales, eu égard aux utilisations auxquelles sont réservés lesdits locaux, moyens et objets;

 

2- De l'immunité fonctionnelle:

Considérant que le paragraphe 1 de l'article 17 contenu au troisième chapitre de la convention prévoit ce qui suit:

« Les fonctionnaires consulaires et les employés consulaires ne sont pas justiciables des juridictions judiciaire et administrative de l'Etat de résidence pour les actes qu'ils commettent dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions consulaires» ;

Considérant que l'immunité en question ne s'étend pas, tel qu'il ressort du reste de l'article 17, aux actions civiles ainsi qu'aux actions résultant de la conclusion d'un contrat signé par le fonctionnaire ou l'agent consulaire et qu'il n'a pas conclu , ni explicitement ni implicitement, en sa qualité de représentant de l'Etat d'envoi, que cette immunité ne comprend pas, également, les actions intentées par les tiers à cause du dommage résultant d'un accident dans le pays de résidence, causé par une voiture, un bateau ou un aéronef appartenant à l'Etat d'envoi.

Considérant que, tant que l'immunité accordée aux différentes catégories de personnes telle que prévue par ladite convention, quelle que soit leur nationalité, concerne l'exercice de leurs fonctions et couvre leurs paroles, écrits et actes, elle constitue une immunité fonctionnelle pouvant être accordée par le législateur selon la nature de ces fonctions ou de ces activités et n'altère pas, par conséquent, le principe de l'égalité prévu par l'article 6 de la Constitution;

 

3- De l'immunité juridictionnelle:

Considérant que le paragraphe 2 de l'article 16 prévu au troisième chapitre de la convention soumise prévoit ce qui suit: «Le membre d'un poste consulaire ne peut être arrêté, emprisonné ou jugé que dans le cas où il commet une infraction grave, dont la gravité est constatée par les autorités juridictionnelles de l'Etat de résidence, en vertu de sa législation» ;

Considérant que le principe de la souveraineté de l'Etat tel que consacré par l'article premier de la Constitution implique, notamment, que soient soumises à sa juridiction toutes les personnes se trouvant sur son territoire , que , néanmoins , ce principe n'est pas incompatible avec l'octroi des immunités par l'Etat hôte à certains fonctionnaires des organisations internationales ou des missions diplomatiques ou consulaires et à certains membres de leurs familles , en vue de faciliter leur travail, cela dans le cadre de l'exercice par l'Etat tunisien, détenteur de la souveraineté, de ses relations internationales , que ce qui est prévu au troisième chapitre de la convention soumise relève, par conséquent, des immunités accordées dans ce cadre ;

 

4- Des exemptions et des privilèges:

Considérant que l'article 24 prévu au troisième chapitre de la convention exonère les fonctionnaires, les employés consulaires ainsi que les membres de leurs familles résidant avec eux, des impôts personnels ou réels, qu'ils soient nationaux, régionaux ou communaux, sauf pour certaines exceptions;

Considérant que l'article 25 prévu au troisième chapitre de la convention prévoit , également , l'exonération des fonctionnaires et employés consulaires de toutes les taxes douanières et des différents impôts , à l'exception des frais de magasin, de transport et des frais assimilés , en ce qui concerne les objets destinés à leur utilisation personnelle, y compris le mobilier de leur résidence et les produits de consommation dans des limites déterminées, lesdits objets étant autorisés à entrer sur le territoire national;

Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Constitution, le paiement de l'impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l'équité, constituent un devoir pour chaque personne;

Considérant que le principe de la souveraineté de l'Etat implique que toutes les personnes se trouvant sur son territoire soient soumises à ses lois ;

Considérant que, dans le cadre de l'exercice de ses relations internationales, l'Etat tunisien, détenteur de la souveraineté, peut, en vertu de traités, accepter d'exonérer, du paiement des impôts, l'étranger qui ne se trouve sur le territoire tunisien qu'en vue d'exercer une fonction diplomatique ou consulaire ou un travail dans des organisations internationales ;

5- Des exceptions relatives à l'immunité juridictionnelle des personnes et aux privilèges qui leur sont accordés:

Considérant que les immunités prévues par la convention ne peuvent être accordées aux Tunisiens et aux résidents permanents en Tunisie sans altérer le principe d'égalité prévu par l'article 6 de la Constitution;

Considérant que l'exonération des Tunisiens et des résidents permanents en Tunisie avant leur recrutement pour travailler au poste consulaire, est contraire au principe de la souveraineté de l'Etat consacré par l'article premier de la Constitution, ainsi qu'à la règle de l'équité en matière d'impôt et de la contribution aux charges publiques, consacrée par l'article 16 de la Constitution, l'exonération des Tunisiens et des résidents permanents en Tunisie de l'impôt ne pouvant pas trouver dans le présent cas une justification fondée sur l' équité.

Considérant que l'article 30 de la convention excepte les membres du poste consulaire qui sont des citoyens de l'Etat de résidence ou d'un autre Etat et résidant de façon permanente dans l'Etat de résidence ou exerçant, sur le territoire dudit Etat, une activité à caractère lucratif, ainsi que les membres de leurs familles, des immunités, facilités et privilèges prévus au troisième chapitre de la convention soumise ~

Considérant que cet article excepte, également, des facilités, privilèges et immunités prévues dans ce chapitre les membres des familles des membres du poste consulaire qui sont, eux-mêmes, des citoyens de l'Etat de résidence ou d'un autre Etat ou des résidents permanents dans l'Etat de résidence ;

Considérant que l'article en question prévoit de la sorte d'une part la soumission de ces personnes à la juridiction de l'Etat de résidence, et d'autre part que ces personnes ne bénéficient pas des privilèges octroyés en vertu de la convention.

Considérant que tant que ces personnes sont exclues des immunités et exonérations, tel que prévu à l'article 30 de la convention, le fait d'octroyer lesdites immunités et exonérations à d'autres personnes, dans le cadre de ce qui précède, est compatible avec la Constitution;

Considérant qu'il apparaît de l'étude du reste des dispositions de la convention objet de l'approbation qu'elles ne sont pas contraires avec les dispositions de la Constitution et sont compatibles avec celle-ci, que le projet de loi approuvant ladite convention est, par conséquent, conforme à la Constitution ;

III- Emet l'avis suivant:

Le projet de loi portant approbation d'une convention consulaire entre la République tunisienne et la République du Yemen ainsi que la convention objet de l'approbation ne soulèvent aucune inconstitutionnalité.

Le jeudi 26 janvier 2006

Journal Officiel de la République Tunisienne - 28 février 2006; Page 438.

 

Note: Avis très riche et merveilleusement argumenté. Que de leçons et principes à en tirer de ce "mini cours" sur les immunités.

Il faut noter, tout d'abord, cette approche introductive et globale du conseil. On est presque au cœur de la convention tellement décortiquée et décrite.

Ensuite, on remarque que le conseil s'est penché même sur les techniques de la procédure constitutionnelle prévue pour la mise en application des conventions internationales.

C'est après que le conseil aborde l'épineux problème des immunités accordés par les conventions internationales. Et les leçons ne se font pas attendre:

-                          Le conseil rappel le principe de souveraineté. L'Etat, détenteur de sa souveraineté, peut octroyer autant de privilèges et immunités.

-                          L'immunité fonctionnelle: elle pouvait être accordée par le législateur selon la nature de ces fonctions ou de ces activités et n'altère pas, par conséquent, le principe de l'égalité prévu par l'article 6 de la Constitution (un autre principe rappelé par le conseil).

-                          Des exemptions et des privilèges: Le conseil conjugue 2 principes: la souveraineté et l'équité pour fonder ces privilèges accordées.

-                          Les Limites à l'immunité et aux privilèges: certes, les tunisiens ne peuvent pas en bénéficier et le conseil explique le pourquoi.

 

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